top of page
Épisode 2
Cade tendit ses jumelles à Ash'ell.
– On ne peut pas traverser. On va devoir passer par en bas.
– Quoi ?... Mais c'est la jungle en bas ! protesta Tuck. Et les infectés qui nous suivent depuis le bastion, vous y avez pensé ?
– On n'a pas le choix, dit Cade, descendant le long d'un petit chemin escarpé, les rennes de son cheval à la main.
Si leur progression jusqu'ici s'était avérée difficile, ce n'était rien en comparaison de ce qui les attendait. La forêt était dense et composée d'arbres aux racines gigantesques. Arrivé à la lisière du bois, le traqueur fit descendre son prisonnier de cheval, attrapa ses affaires et se rapprocha de sa monture pour passer une dernière fois la main dans sa crinière. Puis, d'un geste vif, il claqua la croupe de l'animal qui partit au galop par le chemin qu'ils venaient d'emprunter. Zeif libéra à son tour le sien et les deux chevaux s'échappèrent derrière la falaise... d'où un homme scrutait la scène avec attention.
À peine les hommes de Cade eurent-ils disparu derrière les arbres que plusieurs silhouettes se dessinèrent au pied de l’a-pic et se fondirent à leur tour dans la forêt. L'homme à la capuche dévala alors avec agilité la pente et sauta sur un arbre, puis un autre, bondissant avec grâce de branche en branche, s'enfonçant toujours plus dans la jungle.
L'air était moite et des bruits étranges résonnaient de toutes parts. Les feuillages fouettaient les visages des chasseurs de prime tandis qu'ils tentaient de se frayer un chemin à travers la végétation, et les marécages, qui donnaient parfois au terrain des airs de mangrove, ralentissaient encore leur progression.
– Il paraît qu'il n'y avait que de l'eau ici avant, se hasarda Wade, tuant du plat de la main un moustique qui sifflait dans son oreille.
– Ouais, même qu'on dit que c'est à cause des infectés que c'est devenu un marécage...
– Mais ouais, c'est ça. Et ils ont fait comment les infectés pour assécher la zone et faire pousser tous ces arbres, ils ont construit un barrage en amont et mis de l'engrais ? trancha Zeif.
– C'est le parc de Tananga, une ancienne réserve indienne protégée. Le pont de Broke a été construit ici après la guerre de Sécession afin de relier les États du Nord et du Sud, tout en préservant le patrimoine de la région.
Tous les regards se dirigèrent vers le vieil homme.
– Je n'y étais pas... dit-il, amusé, comme pour répondre aux questions muettes de ses gardiens. Mais c'était dans tous les livres d'histoire. Je traversais ce pont si souvent que je ne me rendais pas compte alors de ce qu'il représentait : l'union de deux peuples... la naissance d'une nouvelle civilisation... ajouta le vieil homme, songeur.
– C'était comment, l'Avant ? demanda Ash'ell.
Après un bref moment d'absence, l'homme se tourna vers la jeune femme.
– L'Avant ?... Hum... ce que tu appelles l'Avant, c'était tout ce que je connaissais, c'était mon présent et mon futur... Et si cette époque est bel et bien révolue, pour moi c'était toute ma vie. Celle que nous sommes très peu aujourd'hui à avoir connue.
– Avant les infectés...
– Avant les infectés, avant les bastions et la Guerre des affiliés...
– C'est vrai que tout le monde pouvait aller librement de ville en ville ? demanda Wade.
– Ouais, sauf que les gars, ils passaient leurs journées enfermés dans de grandes tours pour n'en sortir que le soir et rentrer chez eux dans ces espèces de carcasses qu'on a croisées tout le long de la route...
– C'est vrai. Beaucoup de personnes travaillaient dans des bureaux, mais chacun était libre de choisir sa voie.
Cade continuait d'avancer droit devant lui. Et s'il n'avait pas vraiment prêté attention jusqu'ici à la conversation, il semblait désormais bien plus attentif au discours du vieil homme.
– Il y avait des écoles, des universités. Tu pouvais t'instruire, te former, choisir un métier et faire carrière. Mais surtout, tu étais libre... libre de profiter du soleil qui se levait entre les collines ; libre de sortir en ville sans crainte de te faire déchiqueter par des bêtes sanguinaires ; de te promener dans les parcs ; de te jeter dans l'océan lorsque les premières chaleurs se faisaient sentir. Tu pouvais parcourir le monde, ou simplement profiter des charmes de ton quartier... mais tu avais le choix. Et s'il est vrai que beaucoup d'entre nous s'enfermaient dans leur quotidien, chacun pouvait faire le choix de vivre...
– Sauf que ce n'est plus une option désormais, trancha Cade, se détournant à nouveau de son prisonnier.
Le vieil homme l'observa quelques instants jusqu'à ce que Ash'ell l'engage fermement à avancer.
Après des heures de marche, les rayons de soleil qui parvenaient à percer à travers la frondaison se faisaient de plus en plus rares. Cade leva le regard vers le ciel, imité par son compagnon au bec fourchu, posé sur son épaule.
– Le soleil va bientôt se coucher. On va faire une pause pour la nuit.
À ces mots, Tuck s'écroula sur le sol.
– Ah... il était temps !
– C'est pas encore le moment de dormir, dit Ash'ell. Il faut construire des barricades et mettre en place des pièges pour ne pas être pris de court dans la nuit.
– Et on fait ça comment ? demanda Wade.
– Il y a tout ce qu'il faut dans la forêt.
– Nous, on va rester là... Faut bien quelqu'un pour surveiller le prisonnier.
Ash'ell considéra Zeif d'un air réprobateur :
– Tuck peut très bien s'en charger.
– Ok, je surveillerai Tuck, alors... conclut Zeif, s'étirant tranquillement contre l'arbre au pied duquel il s'était installé.
Alors que Wade et Ash regagnaient le camp, les bras chargés de bois, la jeune femme jeta brusquement tout ce qu'elle transportait et se précipita vers les deux acolytes restés sur place.
– Mais vous êtes malades ou quoi ?! Asséna-t-elle, taclant violemment le sol – et les botes de Zeif au passage –, repoussant le maximum de terre devant elle.
Zeif, toujours assis contre son arbre, se réveilla en sursaut et jaugea rapidement la situation. À son tour, il bondit au coin du feu et jeta de pleines poignées de terre sur les braises encore incandescentes, devant les yeux ahuris de Tuck. L'homme, une branche à la main, avait visiblement du mal à comprendre ce qu'il se passait.
– Imbécile ! tu veux ameuter tous les infectés du coin ou quoi ? le réprima Zeif.
– Et toi, t'étais pas censé surveiller Tuck ?... Ash'ell s'interrompit un instant... Et à ce propos... où est Kane ?
bottom of page