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Shadow
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Aux premières lueurs de l'aube, une ombre se dessina à l’orée de la forêt pour disparaître aussitôt dans la brume matinale. Un pan de tissu glissant dans le vent, un oiseau effrayé prenant son envol, un bref mouvement ci ou là, à peine pouvait-on deviner une présence dans l’épais brouillard qui recouvrait le paysage matinal. Mais sa destination, elle, ne laissait que peu de place au doute. Seule trace de civilisation à des kilomètres à la ronde, une vieille grange abandonnée dont s'échappaient de sinistres grognements semblait lutter pour tenir debout au beau milieu de la campagne.
À quelques mètres de l'entrée, la silhouette se révéla enfin aux premiers rayons de soleil qui perçaient désormais le ciel. Entièrement vêtue de cuir – plusieurs renforts protégeant les parties sensibles de son corps –, elle avait le visage enveloppé dans une capuche et un large pan d'étoffe enroulé autour du cou qui descendait en plusieurs morceaux jusqu'aux genoux, telle une cape lacérée flottant dans les airs. Enfin, deux holsters attachés à sa ceinture, et une dizaine de flèches dépassant du carquois accroché dans son dos ajoutaient au sentiment de dangerosité qui émanait d'elle.
Aux aguets, féline et discrète, la silhouette avançait précautionneusement vers la double porte en bois qui barrait l'accès à la grange. À chacun de ses pas, les différents pans de sa cape semblaient prendre vie, s'enroulant autour d'elle tel un animal se recroquevillant sur lui même. Et plus elle s'approchait de l'entrée, plus les râles provenant de l'intérieur de la grange se faisaient entendre.
« Enfin ! » se dit-elle. Elle voulait y croire. Comme à chaque fois, penser, espérer que ce serait la dernière. Et comme à chaque fois, l'excitation et l'adrénaline qui montaient en elle obscurcissaient son jugement, elle le savait. Mais peu lui importait, ses réflexes, eux n'étaient pas affectés, bien au contraire ! Face à la double porte en bois entravée par une lourde chaîne en fer et un imposant cadenas, elle dégaina les deux armes rangées dans ses holsters, et, d'un geste vif, lança le mécanisme qui, dans un cliquetis métallique, déplia d'un coup sec l'arc des deux arbalètes, libérant le carreau, prêt à jaillir.
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Malgré les grognements, les bruits des chairs déchiquetées, d'os broyés et de planches brisées, l'homme allongé sur sa paillasse, un Stetson posé sur le visage, semblait dormir à point fermé, laissant même échapper un petit ronflement de temps à autre.
Quelques minutes après que le calme fut enfin revenu, la porte de la pièce s'ouvrit. Mais là encore, l'homme ne broncha pas. Tout juste eut-il un mouvement réflexe quand son chapeau fut projeté à terre, les doigts de sa main droite s'agitant en vain au-dessus de ses yeux clos. Un échec qui ne perturba apparemment pas davantage son sommeil puisqu'après quelques secondes d'agitation, il se tourna nonchalamment sur le côté, les bras de nouveau tranquillement posés sur sa couche. Ce n'est que lorsqu'il sentit la pointe froide du carreau appuyant sur son front que ses yeux s'ouvrirent tout à coup. Et il ne lui fallut alors qu'un bref instant pour recouvrer entièrement ses esprits. Machinalement, il leva doucement les mains en l'air et tenta de se redresser, mais l'intrus renforça la pression de l’arbalète sur sa tête, si bien qu'un mince filet de sang commença à perler sur son front.
– Hey, doucement, OK ! Quoi que j'aie fait, je suis sûr qu'on peut trouver un arrangement, pas vrai ?
– Je suis pas là pour vous, répondit « l'intrus » d'une voix condescendante... et féminine.
– Mais vous êtes... vous êtes...
– Une femme, oui, coupa-t-elle, relevant de sa main libre le capuchon qui couvrait son visage. Vous avez jamais vu une femme de votre vie ?
– Eh bien si, mais rarement avec tout cet attirail. Si vous n'en avez pas après moi, vous pourriez peut être baisser votre jouet.
La jeune femme relâcha la pression tout en gardant l'homme en joue.
– J'imagine que c'est un bon début, dit-il, croisant doucement ses mains derrière la nuque. Alors, je peux savoir ce que vous me voulez.
– Je cherche un infecté.
– Un infecté ? Vous voulez dire... un en particulier ? Non, parce que des infectés, c'est pas ce qui manque dans le coin. Rien que...
La jeune femme l'interrompit :
– Celui que je recherche est plus grand que la moyenne. Il mesure plus de deux mètres et a une cicatrice à l’œil gauche.
L'homme semblait perplexe.
– Alors ?
– Attendez ! Qu'est-ce que vous croyez ? Vous me prenez comme ça au pied du lit... Laissez-moi au moins me remettre les idées en place.
Il leva un sourcil au ciel, comme s'il tentait de rassembler ses souvenirs. La jeune femme ne le quittait pas des yeux. La trentaine, les cheveux bruns, le brushing impeccable (détail pour le moins pittoresque étant données les circonstances), une barbe de trois jours, et un visage oblong, l'homme était d'une beauté classique. Mais ses yeux... Il y avait dans son regard cette lumière qui avait quitté le sien bien des années en arrière.
– Bon, on va pas y passer la nuit ! lança-t-elle comme pour se forcer à sortir de sa propre inertie.
– Attendez, je réfléchis ! dit-il, ramenant la main droite sous son menton.
Même s'il en faisait clairement trop, la jeune femme, qui aurait habituellement mis un terme immédiat à son petit jeu, n'en fit rien.
– Possible que je l'ai croisé, en effet, finit-il par lâcher, replaçant ses mains derrière la nuque.
– OK. Où et quand ?
– Hier, sur le chemin qui m'a conduit à cette ferme. Mais risque d'être assez compliqué à expliquer.
– Très bien, alors vous allez me conduire. Allez, debout !
– Hé, doucement miss ! Qu'est-ce que j'ai à y gagner, moi ?
– Eh bien, la vie pour commencer. Et si vous tenez à votre belle gueule, ne vous avisez jamais plus de m'appeler comme ça !
– Hum... « belle gueule », c'est vrai que j'ai une belle gueule, mais on n'est pas là pour ça, pas vrai ?... Bon et du coup, je dois vous appeler comment ?
La jeune femme replaça la pointe de son carreau sur le front de l'homme.
– OK, OK... Je suppose que pour les présentations, on verra plus tard, dit-il, levant la main gauche en signe de paix. Puis, sans quitter la jeune femme du regard, il approcha délicatement l'autre main de l'arbalète et saisit l'arbrier tout en reculant sa tête au maximum contre le mur, avant de légèrement décaler l'arme de sa ligne de mire. Le souci, c'est que sans moi vous aurez bien plus de mal à retrouver votre infecté. Et de ce que j'en ai compris, ça a l'air important pour vous. Alors voilà ce que je vous propose : vous me filez cinq cents tickets, et je vous conduis au dernier endroit où je l'ai vu. S'il n'y est plus, on sera quitte. Mais si vous le trouvez grâce à moi, vous doublerez la somme. Qu'en dites...
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Mais l'homme n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Un grognement rauque et puissant retentit dans la pièce, et une bête immonde et musculeuse se jeta sur la jeune femme qui bondit pour l'éviter. Ayant lâché son arme dans l'action, elle tenta de dégainer la deuxième arbalète rangée dans son holster, mais reçut un puissant coup à la tête qui la fit vaciller. Et en un éclair, la bête était déjà sur elle.
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