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Épisode 1 : Traqués
Alors que les lourdes portes du bastion se refermaient derrière le groupe, un cavalier et deux chevaux apparurent soudain dans la nuit, galopant dans leur direction. Dans le ciel, un rapace volait au dessus de leurs têtes, criant comme pour les avertir d'un mauvais présage. Stoppant net devant Cade, le cavalier bondit de sa monture et lui tendit les rennes.
– Alors patron, tout s'est passé comme prévu ?...
Mais jetant un rapide coup d’œil aux trois inconnus qui accompagnaient ses coéquipiers, l'homme eut vite fait de comprendre que non, tout ne s'était pas passé comme prévu.
– C'est qui ceux-là ? demanda-t-il, dédaigneusement.
– Ils sont avec nous, répondit simplement Cade tandis qu’il installait le prisonnier sur son cheval, les mains solidement attachées devant lui.
– Dis-moi, Zeif, t'étais pas censé nous prévenir si jamais des gars se ramenaient ? lança Ash'ell, d'un ton empli de sous-entendus.
– Bon, ça va, vous vous en êtes sortis, non ? Et avec le paquet en prime ! ajouta-t-il, scrutant le prisonnier qui cherchait la meilleure position à adopter afin de tenir sur la selle du cheval. C'est bon ça, on va pouvoir se faire un max de fric ! Mais... ça me dit toujours pas qui sont ces gars...
– Ce sont des affiliés, et à cause de ton incompétence, on va devoir se les coltiner pendant tout le trajet et leur refiler une part de la récompense en prime, figure toi !...
– Mon inc... ?! Non, mais je rêve ! C'est toi qui dis ça ?! Tu veux que je te rappelle la fois où on s'est retrouvés en plein cul-de-sac, assiégés par une horde d'infectés, simplement parce que Madame ne sait pas lire une carte ?! Ou la fois où j'ai sauvé tes petites fesses de... Il s'arrêta soudain dans sa diatribe comme s'il venait de résoudre la quadrature des cercles. Attends, t'as dit quoi là ? C'est quoi cette histoire de partage ?! On va quand même pas refiler notre fric à ces péquenauds ?!
– Cade a engagé sa parole. Il n'a pas eu le choix. Et pour couronner le tout, on va devoir faire du baby-sitting maintenant ! ajouta Ash, désignant les villageois d'un mouvement de tête. Tout ça parce que Monsieur a abusé de la bière ! Tu t'es encore endormi, pas vrai ?
– Quoi ?! Non, mais c'est quoi c't'affaire...
– Heu... si on vous dérange, vous nous le dites, hein ? intervint Nick, sous le regard visiblement amusé du prisonnier.
– Ça suffit ! On a une longue route à faire, alors allons-y ! trancha Cade. Il tendit son bras, le poing fermé, et le rapace qui était toujours en vol stationnaire au dessus d'eux, piqua soudain vers lui pour se poser sur son gant, glatissant en direction de son maître. Et tandis que l'aigle prenait sa place sur l'épaule de Cade, ce dernier entama la marche, tirant par les rennes le cheval sur lequel se tenait le vieil homme.
Emboîtant le pas du traqueur, Nick et Ash'ell se lancèrent à leur tour, suivis de Wade et Tuck ; deux affiliés du Bastion qui, mus par l’appât du gain, s'étaient portés volontaires pour faire partie de l'équipée. Enfin, Zeif fermait la marche sur son cheval, maugréant inlassablement dans sa barbe :
– Partager la prime... Partager la prime... Pff !... Manquait plus que ça !
Quelques heures plus tard, le groupe progressait péniblement sur l'ancienne voie rapide en périphérie du centre-ville, parvenant péniblement à se frayer un chemin à travers les carcasses de voitures rouillées et les divers objets hétéroclites qui jonchaient le sol.
– Dites, c'est bon signe ça, non ? demanda Tuck en fixant l'horizon.
Au loin, les premiers rayons de soleil apparaissaient dans le ciel, chassant l'ombre menaçante de la nuit. De part et d'autre de la route crevassée, par endroits déjà entièrement recouverte par la végétation, la forêt, qui avait repris ses droits sur la civilisation, semblait s'éveiller sous le regard inquiet de l'affilié.
– Pas le moindre infecté à l'horizon, et le soleil qui se lève... Le danger est écarté, au moins pour la journée, hein ? Dites, on risque plus rien aujourd'hui, pas vrai ? tentait de se rassurer Tuck.
– Parce que tu crois que le soleil, ça va empêcher ces saloperies de te bouffer ? Ahh ! Laisse-moi rire ! trancha Zeif, qui s'amusait visiblement beaucoup de la témérité du villageois.
– On marche depuis des heures, c'est quand même étrange qu'on n'en ait pas croisé un seul, non ? demanda Nick qui progressait aux côtés de Ash'ell.
Cade jeta un coup d’œil discret alentour et, en trois mots, mit fin à toute supputation :
– Ils sont là.
Tuck et Wade stoppèrent net :
– Quoi ? Comment ça « ils sont là » ?
– Ils nous suivent depuis qu'on a quitté l'ancien centre ville, confirma Ash'ell.
D'un geste vif – pour un affilié –, Wade se saisit de son couteau et tourna sur lui-même à l’affût du danger tout en décrochant précautionneusement de sa main libre la petite hache qu'il portait à la ceinture. Tentant d'imiter son compagnon, Tuck dégaina maladroitement une sorte de machette à la lame émoussée et rongée par la rouille, sursautant au moindre son provenant des bois environnants.
En les dépassant, Zeif ne put s'empêcher de les rabrouer :
– Vous pensez vraiment que vos canifs vont vous aider ? Pff... ces villageois !... fit-il, laissant les deux hommes, perplexes.
– Tu crois que c'est le même groupe ? demanda Ash'ell à l'attention de Cade.
– T'as vu beaucoup de ces saloperies se retenir devant un bon gueuleton ? répondit Zeif.
Légèrement en retrait, Nick accéléra le pas pour rejoindre le groupe de tête.
– Comment savez-vous qu'ils sont là ? Je ne vois rien.
– Ce gars-là pourrait repérer une de ces charognes à des kilomètres à la ronde. Qui sait ? Quand t'auras traversé autant de villes fantômes, de routes abandonnées et de déserts infectés par ses saloperies, alors peut-être que toi aussi tu pourras les sentir, rétorqua Zeif.
– Mais pourquoi n'attaquent-ils pas ? Je croyais que l'odeur de la chair les rendait incontrôlables ?
– Nous sommes de la viande pour eux, précisa Ash'ell, et ils sont affamés ; une faim insatiable. C'est cela qui les rend fous. Ils sentent votre odeur à des centaines de mètres à la ronde et se ruent sur vous pour se repaître de votre chair. Pourtant ceux-là semblent maîtriser leurs instincts. On pense qu'ils nous suivent depuis plusieurs jours déjà. Ils nous traquent comme s'ils voulaient jouer avec nous.
– Ils sont en chasse... conclut Cade sans prêter attention à ses coéquipiers.
– Mouais, des traqueurs traqués... on aura tout vu !... Mais je m'en cogne, moi ! Chasseur ou pas chasseur, chuis prêt à les recevoir, j'vous l'dis ! prévint Zeif, tapotant de la main l'imposante masse en métal accrochée dans son dos.
– Nous devons éviter la forêt et atteindre le pont de Broke, indiqua Ash'ell, désignant l'ouvrage en métal qui, au loin, semblait comme suspendu dans les airs.
– Mais on sera à découvert tout le long si on reste sur cette putain de route !... s'inquiéta Tuck.
– Comme ça, on les verra arriver de loin ! Pas vrai Cade ? lança Zeif.
À quelques mètres de là, un homme entièrement vêtu de noir, une capuche protégeant son visage, se tenait à croupi sur un amas de carcasses de voitures, observant avec attention le cheminement du groupe.
Traqueurs et affiliés progressaient péniblement sur la route depuis près d'une vingtaine de kilomètres quand ils parvinrent enfin au pont de Broke. Accrochée à une falaise, cette merveille d’architecture de l'ancien temps avait résisté au poids des années, aux guerres... et aux attaques des infectés. Plus que quelques centaines de mètres et ils pourraient peut-être enfin distancer leurs poursuivants. Si l'ouvrage avait résisté au temps, pas une once de métal n'était rongée par la rouille ; une grande partie des câbles qui constituaient l'armature avaient cédé, et des pans entiers de route s'étaient écroulés, si bien que certains se demandaient comment l'ensemble de la structure pouvait encore tenir.
– Qu'est ce qu'on attend ? demanda Wade.
Le groupe avait fait halte derrière Cade Thorn qui scrutait l'horizon, passant machinalement la main dans la crinière de son cheval. À sa droite, le vieil homme, les mains toujours liées sur le dos de sa monture, semblait, lui, davantage intéressé par le Pistolero, observant le moindre de ses gestes, un sourire presque bienveillant se devinant parfois sur son visage.
Soudain, un cri strident perça les nuages. Tous les regards se dressèrent vers l'horizon et l'aigle de Cade apparut droit devant eux, volant dans leur direction. Lorsqu'il se posa sur l'épaule de son maître, l'animal sembla agité. Cade caressa son compagnon dans le creux du cou, puis lorsque celui-ci fut calmé, attrapa une vieille paire de jumelles dans son sac à dos.
De l'autre côté du pont, un spectacle d'horreur se dessina devant ses yeux : des bêtes difformes se battaient autour des restes déchiquetés des corps d'un homme et d'une femme. Des morceaux volaient tandis que les plus impressionnants des montres arrachaient les entrailles de leurs proies, ne laissant au reste de la meute que quelques lambeaux de chair.
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