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Pilote (Part. 4)
– Qu'est-ce qu'on fait ? demanda Ash'ell. Il le tuera de toute façon...
À ces mots, le vieil homme la jaugea, l'air circonspect. Thorn, lui, se contenta de baisser la tête, son regard froid toujours rivé sur les ombres qui leur barraient la route. Puis il desserra la main de son fusil qui bascula pour finalement achever sa chute sur le sol.
– Je n'entends pas le bruit du métal sur le pavé... cria l'homme à l'autre bout de la rue. Allez Ash, toi aussi !
La jeune femme dégaina ses sabres et les jeta à ses pieds dans un mouvement de colère.
– Toutes tes armes, hein ? Pas d'entourloupe !
Fronçant des sourcils contrariés, elle se défit des deux holsters attachés autour de ses bras et de la dizaine de couteaux de lancer qu'ils contenaient. Au même moment, des silhouettes se rapprochèrent, épée à la main, et très vite les deux complices et leur prisonnier, furent encerclés. L'homme qui tenait l'adolescent relâcha alors légèrement son emprise, moment choisi par Jimy pour lui asséner un bon coup de coude bien placé. Comme il se tordait de douleur au sol, le garçon lui subtilisa le pistolet glissé dans son pantalon. Les trois détonations se fondirent en une seule, tant elles furent rapprochées, le garçon rechargeant le chien du revolver de sa main libre à la vitesse de l'éclair. En un battement de cil, trois autres silhouettes étaient tombées. Mais l'homme au couteau, toujours à terre, balança ses jambes sur le côté et faucha l'adolescent qui se retrouva à son tour sur le bitume, de nouveau sous la menace de la lame.
– J'en ai fini avec toi, sale morveux ! fit son assaillant en entamant la chair de son cou.
– Ça, ça risque pas d'arriver, pas dans mon bastion en tout cas ! Lâche ton cure-dent !
La voix était rauque et le ton ferme. Jimy l'identifia immédiatement et fut également le premier à l'apercevoir, ainsi que la figure familière qui se tenait à ses côtés. Son agresseur, lui, sentit surtout le métal froid du fusil collé sur sa nuque. Il se redressa et, levant les mains vers le ciel, paumes ouvertes, relâcha son couteau.
– Relève-toi ! Doucement !
Comme il obéissait, il constata que son groupe était à son tour submergé en nombre et en armes. Ses complices avaient déjà capitulé et, comme lui, tendaient les bras au dessus de leurs têtes. À une dizaine de mètres de là, deux cercles s'étaient formés autour du vieil homme, de Thorn et de sa partenaire, le trio tenu en joue par le premier cercle : ses hommes, eux-mêmes sous la menace du deuxième cercle composé par d'autres, bien plus nombreux, équipés d'épées, de haches, et de divers objets contondants.
Alors que l'équipe du Marshall s'occupait de leurs prisonniers, le gérant de la taverne tendit la main à l'adolescent, qui préféra se relever par ses propres moyens.
– Tu devrais te montrer reconnaissant, mon garçon. Si ton oncle ne nous avait pas prévenus, tu serais probablement mort à l'heure qu'il est.
La mine renfrognée, le jeune homme ne dit mot, se contentant d'épousseter son poncho sous le regard vacillant de cet « oncle » qu'il avait bien du mal à considérer comme tel.
Les hommes avançaient au pas dans la rue principale du bastion, les prisonniers, mains jointes derrière la tête, encadrés de près par l'équipe du Marshall. L'homme à la capuche, posté en haut d'un immeuble sur ce qu'il restait d'un néon publicitaire, observait, dans une pose presque animale, la masse sombre, qui s'enfonçait dans la nuit.
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– Tiens, voilà pour toi. deux cent tickets, comme convenu... (Le gérant de la taverne entreprit de recompter la liasse que venait de lui remettre le Marshall.) La confiance règne ! Tu sais que tu pourrais en gagner bien plus...
– Tu peux me rappeler déjà pourquoi ces gars sont dans mon établissement plutôt que dans les geôles de ton commissariat ? éluda l'homme, glissant les tickets dans la poche intérieure de sa veste.
– Je te l'ai dit ! J'ai pas assez de cellules pour tous les enfermer.
Si les clients avaient rapidement vidé les lieux, la taverne n'avait en effet jamais été aussi bondée. Les hommes arrêtés un peu plus tôt dans la ruelle du bastion en jonchaient désormais le sol, pieds et mains liés, tandis que Thorn, Ash'ell et le vieil homme, bénéficiaient d'un traitement de faveur, ligotés ensemble chacun à une chaise, à l'écart près du comptoir.
– Et maintenant, tu peux me dire ce que tu comptes faire d'eux ? demanda le gérant, assis derrière le bar, aux côtés de l'adolescent qui n'avait cessé de plaider pour la libération de Thorn et Ash'ell.
– J'en n'ai pas la moindre idée... Par contre ce que je sais, c'est que DANS CE BASTION, C'EST MOI QUI FAIT LA LOI ! cria-t-il afin de s'assurer que chacun l'entende.
Le Marshall était un homme d'une soixantaine d'années, les cheveux grisonnants coupés courts et une fine moustache impeccablement taillée, il était l'incarnation même d'une autre époque, digne représentant de l'Avant, déjà démodé dans ces temps reculés. Jouant avec le canon d'un revolver qu'il frappait régulièrement sur son front, il faisait les cent pas entre ses prisonniers assis à même le sol.
– Et la loi dit : les allées et venues nocturnes sont interdites dans ce bastion. Les agressions, kidnappings, vols et autres délits sont interdits dans ce bastion. LES ARMES... sont, bien évidemment, interdites dans ce bastion. (Il désigna du canon de son revolver, les deux fusils, les trois pistolets, les sabres, lames et autres pointes qui avaient été confisqués aux captifs, tout en poursuivant son monologue.) Les non affiliés qui n'ont pas été recensés sont également interdits dans ce bastion. Et par dessus tout, les gens de votre... espèce, sont interdits dans MON BASTION ! aboya le Marshall avant d'être interrompu par une violente quinte de toux.
Il s'accouda un instant sur le comptoir, le temps de reprendre son souffle, se racla la gorge et reprit :
– Maintenant que j'ai éclairci ces quelques points qui, semble-t-il, méritaient de l'être... (Il se tourna vers le petit groupe ligoté à l'écart.) J'aimerais bien savoir pourquoi il semble y avoir tant d'effervescence autour de cet homme... dit-il, désignant le vieil homme de son arme.
Thorn défiait le Marshall du regard sans ciller. Pendant un long moment, les deux hommes s'observèrent.
– Alors ? Personne pour m'éclairer sur ce point ? Très bien.
Il fit un signe à l'un de ses lieutenants qui entreprit alors une fouille particulièrement minutieuse de la jeune femme attachée au dos de Thorn.
– Profites-en bien, salle ordure ! fit-elle alors que les mains crasseuses de l'homme s'aventuraient dans le creux de sa poitrine. Profites-en bien, car si je te retrouve, jamais plus tu n'auras l'occasion de sentir ce truc qui pend entre tes jambes !
Thorn, gagné par la colère, tenta de se défaire de ses liens, mais ses efforts étaient vains. Et alors que l'adolescent voulut s'interposer à son tour, le gérant l'en empêcha.
– Tout ceci est-il vraiment nécessaire ? demanda-t-il.
Le Marshall, impassible, leva son canon à la verticale pour le faire taire, sans détourner un seul instant son regard de la jeune femme dont les traits déformés du visage trahissaient à la fois le dégoût et la haine que lui inspiraient son tortionnaire – une haine, heureusement pour ce dernier, contenue par les liens qui la maintenaient fermement aux barreaux de sa chaise.
– Ça suffit ! intervint Thorn. Ce que vous cherchez est dans la poche intérieure de mon ceinturon.
– Ah, eh bien voilà, tout n'est-il pas beaucoup plus simple lorsqu'il y a échange ? La co-mmu-ni-qua-tion, il n'y a que ça de vrai, énonça le Marshall en dépliant les documents que son lieutenant venait d'extraire de la cachette indiquée par Thorn. Il n'y a que ça de vrai, répéta-t-il...
Il tendit au gérant l'affiche que Thorn lui avait glissé sous le nez un peu plus tôt, derrière ce même comptoir, et parcourut rapidement les autres documents, pour se concentrer sur l'un d'eux en particulier :
– Ah, nous y voilà !
« Hélias Keltis Bane, né à... blablabla... recherché par le Diktat... blablabla... Motif : inconnu... Blablabla... Pour la remise, du dit Hélias Keltis Bane au Marshall de Gavelstone, sera versée au remettant, une prime de... »
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En découvrant le montant de la prime, le Marshall fut pris d'une nouvelle quinte de toux. Il rejoignit le comptoir où l'observaient, perplexes, le gérant et l'adolescent.
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– Dis moi, Nick, comment vont les affaires ces temps ci ?
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